
Le programme de développement dont j’ai la charge se déroule à l’échelle d’un sous district, c’est-à-dire sur 28 villages étalés sur une côte de 20 Km. Notre ONG est arrivée 2 mois après le tsunami, et malgré cela, une des rares a déjà intervenir sur ce sous-district, la seule à intervenir avec un angle psychosocial. Ce programme psychosocial s’est ensuite élargi à un programme de micro-crédit mais toujours avec un fort angle psychosocial. Comme le terme Psychosocial est utilisé à toutes les sauces, je vais préciser en disant qu’il s’agit d’un programme intégré, participatif, visant à rétablir le lien dans l’activité économique, éducative et sociale de la communauté pour un développement humain durable et pacifique. Là, tout de suite, ça vous parle beaucoup plus...
Toujours est-il que du fait de notre longue présence et notre crédibilité auprès des communautés du sous-district et des autorités locales, d’une réelle écoute de terrain, nous entretenons un réel lien avec la population et les autorités locales. Tant et si bien qu’on nous a offert de nous faire faire notre « carte d’identité locale » (KTP), après une boutade lancée au Pak Camat (équivalent préfet du sous-district).
Résultat, me voilà un jour dans le bureau de l’administration locale. Le fonctionnaire, dans son bel uniforme beige à écusson du service public, nous accueille avec un grand sourire. Il avait été mis au courant avant par son supérieur. Il nous invite dans la pièce à côté, exiguë à souhait. Il sort un beau formulaire papier et prend place derrière un petit bureau, croulant sous le poids d’une énorme machine à écrire, un monstre en acier noir des années 70 fière de ses 5 bons kilos. Il y a bien 2 nouveaux ordinateurs généreusement donnés par l’Australie, mais les fonctionnaires ne sont pas vraiment formés et, de toute façon il n’y a l’électricité au compteur que la nuit. Et vous pensez bien que les fonctionnaires indonésiens au niveau local ne font pas d’heures sup’. Ne soyons pas mauvaise langue sur l’aide australienne, ils ont aussi fourni un générateur à essence suffisamment puissant pour 2 ordinateurs et une imprimante ! Autant Emily fonctionne au Nutella et l’âne à la carotte, autant un générateur à essence fonctionne à l’essence, y a rien à y faire. C’est comme les voitures, on a beau leur dire « Allez Titine, plus que 10 Km, tiens le coup ! », si vous n’êtes pas dans une descente, cela ne sert à rien d’implorer qui que ce soit. Pas d’argent, pas d’essence, pas d’électricité, pas d’outil informatique. C’est bête comme chou. Et c’est là que la machine à écrire est utile.
Le fonctionnaire glisse le formulaire dans les mâchoires en acier de la machine, tripote 2-3 boutons pour régler le bazar, place ses grands doigts et lève le nez :
Nom ? Jusque là tout va bien. Ça clique de façon appliquée, méthodique, scolaire. Clic, clic !
Adresse ? clic, clic, clic, rattle !
Occupation ? clic, clic, clicclic, rattle !
Religion ? … Religion ????
Ben oui quoi Religion, c’est pas compliqué, y en a 4 : Musulman, Bouddhiste, Hindouiste, Chrétien!
Devant l’air dubitatif du fonctionnaire indonésien, l’œil étonné, la moustache interrogative, le rictus amusé par cet étrange étranger qui ne sait même pas sa religion, la honte de sa mère, je cherche une réponse. Je balbutie un vague « athée ? agnostique ? » en français, autant dire que ça va pas faire avancer les choses. Je tente avec un air faussement assuré « Humaniste » après avoir hésité avec « Zoroastre » pour le décalage. Le dubitatif devient incompréhension. Je me lance dans une courte tirade expliquant qu’il s’agit d’une religion en France (pour faire court, parce qu’on n’allait pas y passer la nuit non plus hein). Ma réponse ne rentre pas dans les 4 choix possibles officiels, toutefois son hésitation est balayée par la délicatesse envers l’hôte étranger. La religion, c’est sacré, on ne peut pas discuter la foi toutes les fois. Et puis lui non plus n’a pas envie d’y passer la nuit hein.
Cliclic clic clic, rattle ! rattle !
La carte d’identité est prête, on la sort de la machine, on y colle la photo, on y appose la signature, et 15 jours après j’ai ma carte d’identité (KTP) avec signature du CAMAT, du chef de la police locale et du chef de la caserne locale.

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